Article Activmag
Article paru dans Actimag du mois d’Octobre 2020
MAISON DE JE
IL Y A CEUX QUI GARDENT TOUT, PODS DANS LES OREILLES ET MÈCHE DEVANT LES YEUX. ET CEUX QUI NE CACHENT RIEN, À L’AISE DANS LEURS CONVERSE®. TOUS, ILS ONT DES INTERROGATIONS, DES INQUIÉTUDES, DES DOUTES, QUE LE CINQ À CRAN-GEVRIER, ACCUEILLE SANS FILTRE, DE 11 À 21 ANS.
« Je cherchais des personnes pour me comprendre, m’aider à avancer, passer un cap que je n’arrivais pas à passer toute seule.” En février dernier, Lucie, collégienne annécienne de 14 ans, est confrontée à un événement qu’elle qualifie “d’assez grave”, suffisamment en tous cas pour qu’elle n’ait pas envie de s’en ouvrir à la première journaliste qui passe. Mais elle en parle avec ses parents, ils font ensemble “tout ce qu’il faut” sans pour autant réussir à trouver de solution au problème de l’adolescente. Ils toquent alors au Cinq, pour en discuter avec d’autres adultes.
DÉCO DÉCLIC
Le Cinq, c’est la 116e Maison des Adolescents (MDA) en France, 2e en Haute-Savoie après celle de Vetraz-Monthoux. Elle a été inaugurée en décembre 2019. Et comme son nom l’indique, c’est avant tout une maison, avec, au 1er niveau, son salon au mobilier chiné, son coin bar pour boire un thé en musique et son armoire customisée par le collectif Art by Friends; à l’étage, sous la toiture, chaque professionnel a choisi la décoration de son bureau comme il l’aurait fait pour sa chambre, avec du bleu canard, du orange, du violet, des photos et des citations, pour un ensemble vivant, lumineux et ultra personnalisé. “Si nous, on se sent bien ici, on peut accueillir bien les ados et leurs parents”, résume Nathalie Magnin, coordinatrice du lieu. “La déco –comme les petites scènes de vie représentées sur des étagères par des Playmobil®- est un motif d’échange, une amorce de conversation, elle interpelle… Une jeune fille nous a même dit un jour : « si je travaillais ici, je prendrais des selfies toute la journée ! »”
PORTE OUVERTE
“La grande idée, c’est qu’on peut venir de manière spontanée,” explique Aurélie, la psychologue. “Juste par curiosité, ou parce qu’on est bloqué, on pousse la porte. On vient voir ce qui s’y passe, on peut déposer quelque chose, une incompréhension, une préoccupation, et quelqu’un en accuse réception.” Le postulat de base? “Le fait que grandir n’est pas facile” ajoute Nathalie Magnin, “qu’il n’est pas évident de se positionner en amitié, en amour, ou dans la vie en général, si on ne trouve pas à qui parler sans jugement et sans idée préconçue. C’est pour ça que le premier contact n’est pas un entretien, mais une rencontre de personne à personne. On se pose, on discute puis on réfléchit en équipe à une association éventuelle avec un professionnel.”
Avec des éducateurs, psychologues, psychiatres, infirmiers, mais aussi spécialistes des consommations (tabac, alcool, cannabis…) ou médecins du planning familial, tous les échanges que propose le Cinq sont gratuits, anonymes si souhaité et sans autorisation parentale –un tiers des adolescents se présentent d’ailleurs seuls-. Comme sur un bateau, chacun prend son quart de surveillance, de disponibilité.
CINQ SUR CINQ
“Au Cinq, nous ne mettons pas en place de soins dans la durée,” précise toutefois Nathalie Magnin, “nous sommes un premier lieu d’accueil, mais on n’initie pas de protocole ou de prise en charge. Par contre, nous faisons partie d’un réseau, dans lequel nous aidons les jeunes à circuler de la manière la plus fluide possible, si nécessaire, nous les redirigeons vers les lieux appropriés.”
Ici, l’accompagnement se fait en moyenne sur trois rendez-vous, sans aucune obligation, sans cadre rigide, avec une adaptation au cas par cas. Lucie, elle, a d’abord rencontré la psy- chologue, puis elle a continué à discuter avec d’autres intervenants, dont Sylvie, l’éducatrice, par téléphone : “je me suis dit que je pouvais leur faire confiance, qu’ils s’y connaissaient dans les histoires d’ados. On m’a énormément écoutée, on m’a donné des conseils pour améliorer la situation et faire attention, et depuis, je me sens plus en mesure de gérer.”
Si le décor est convivial, l’ambiance détendue et bienveillante, les numéros de portable communiqués volontiers, pas question cependant d’essayer de séduire les ados, de faire les «djeuns». Le Cinq offre à leurs incertitudes un ilôt de stabilité. “Mais quand il y a une certaine confiance, il peut y avoir du mouvement”, nuance Philippe, l’infirmier. “On a le droit de ne pas être d’accord, le conflit peut être intéressant. C’est comme la tectonique des plaques, quand elles se frottent, elles peuvent s’écrouler ensemble ou former de petites montagnes.” “Ce qui est bien, avec les ados, c’est que tout va vite,” complète Sylvie. “Tout est en transformation permanente, tout est possible. Le plus inquiétant, c’est quand ils ne pensent plus à rien, ne savent pas s’ils souffrent et haussent les épaules sans rien dire.”
TRAVAIL D‘EQUIPE
Pour soutenir la charpente et consolider les fondations d’une maison, il faut des appuis, physiques, politiques et pécuniers. Le Cinq est donc financé par le Centre Hospitalier Annecy Genevois (CHANGE), l’Agence régionale de santé (ARS), le Département et la Ville d’Annecy. Il travaille également avec d’autres partenaires, dont l’Académie de Grenoble, le Ministère de la Justice, l’Ecole des Parents et des Educateurs, ou l’Instance Régionale d’Education et de Promotion Santé (IREPS).
+ d’infos : Au Cinq – 5, av. de la République – Cran-Gevrier – Annecy – 04.56.49.73.55